top of page

Notes de mise en scène 

Nous entrons en salle de création avec de la matière brute : les images du procès, les enregistrements, en hébreu, en allemand et en français et les témoignages traduits simultanément. Un espace sonore, une tour de Babel, un récit biblique des temps modernes. Sur la table, des écrits : Arendt, Bauman, Levi, Hilberg, l’interview d’Eichmann dans Life Magazine et les protocoles de l’interrogatoire au bureau 06 après son arrivée en Israël. Des lettres, des poèmes, des romans et des documents historiques.

Et finalement il y a les comédiens, et moi-même. Nos origines et nos langues ; nos histoires et nos tabous. Notre spectacle sera le témoignage de cette traversée.

 

Je crois que dans notre théâtre Eichmann n’existe pas, Il est déconstruit et multiplié, Il envahit les corps des comédiens tel un Dibbouk, il plane dans notre espace mais ne s’incarne jamais.
Il n’apparait qu’à travers le regard d’un comédien, qu’à travers notre volonté de donner sens à l’apparition de cette forme d’humanité terrible.

Les minutes du procès sont suivies à la virgule, mais je me permets un montage radical afin de faire ressurgir de cette parole sèche l’absurdité profonde, un procès qui cherche la justice là où aucune justice n’est possible. C’est donc un espace vide, un plateau nu, le corps d’un comédien et sa voix qui sont notre champ de recherche. L’espace de ma mise en scène, est finalement la terre aride des minutes, le langage précis, les documents, les organigrammes et les télégrammes.

 

Nous jouons à l’intérieur des archives de notre spectacle.

Je ne veux pas raconter l’Holocauste, ni comment un homme banal devient un monstre. D’autres l’ont fait avant moi. Des historiens se sont penchés sur la question, des sociologues ont proposé des théories, des cinéastes ont fait des films.


Moi je ne veux rien raconter. Je veux faire apparaître dans cet espace qu’est le théâtre l’impossibilité et l’absurdité du récit.
La compréhension étroite du phénomène nazi réduit à l’antisémitisme. Et de l’hypocrisie de notre discours actuel.

Finalement ceci n’est pas un spectacle sur l’holocauste, Eichmann nous révèle simplement ce qui nous fait le plus peur en nous. Cette capacité à l’obéissance et à la soumission qui permet encore aujourd’hui de perpétrer massacres et occupations, apartheid d’état et discriminations ordinaires. Le monstre finalement nous rassure beaucoup plus que cet homme normal, cet homme qu’on aurait pu être.
Quand on ouvrira la cage, on verra qu’à l’intérieur il n’y a personne,
que tout ce que nous avons vu n’était que notre propre reflet sur le verre”.

 

 

Ido Shaked

bottom of page