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Si l’histoire est écrite par les vainqueurs où est passée l’histoire des vaincus ? Au début de cette pièce le poète Taha Radwan vient à Paris lire ses poèmes au cours d’une conférence sur la poésie palestinienne. Il commence sa lecture. On n’entendra que la première partie du poème :

 

“ Parfois, j’ai envie d’inviter en duel celui qui a tué mon père

et démoli ma maison et rendu

réfugié dans ce pays étroit.

Si il me tue je gagnerais la tranquillité

et si je le tue voilà que j’aurai ma revanche...”

 

La lecture est interrompue, et la fin du poème devra attendre la fi n du spectacle.

 

“...mais si je découvre pendant ce duel

que mon adversaire à une mère qui attend son retour

Ou un père qui porte sa main droite à son coeur

chaque fois que son fi ls est en retard,

je ne le tuerais pas même si il était le vaincu.”

 

(le poème est réellement écrit par Taha Mohammad Ali)

 

C’est dans cette interruption du poème, livré par le personnage d’un vieux poète palestinien, inspiré de Mahmoud Darwich, que se dévoile l’histoire des Optimistes. Le récit d’une résistance fi ctive, qui ne ciblait pas dans ses “attentats” les infrastructures du régime mais la version de l’Histoire que les vainqueurs voulaient imposer au pays. En 1948 Orwell livre son roman “1984”, la même année commence l’aventure de cette organisation révolutionnaire.

 

Une résistance orwellienne, car les protagonistes comprennent que leur bataille n’est pas dans la rue ou dans les armes mais bien dans la “mémoire” et dans la façon dont les prochaines générations comprendront cette époque. Une bataille pour la conscience du peuple. Notes de mise en scène Le défi qui se dresse devant nous en tant que compagnie est double. Nous aussi nous essayons de ré imaginer le passé, pour mieux parler du présent et peut-être changer le futur. Le conte utopique et fatalement tragique de ce groupe de résistants n’est pas juste une fable sur l’actualité, mais une enquête réelle sur les possibilités qu’avaient les dirigeants juifs et arabes de l’époque de créer un autre futur pour les peuples de Palestine et d’Israël.

 

 

Nous parlons également du rôle jamais acquis qu’auraient pu avoir les juifs-arabes en tant qu’intermédiaires entre la société israélienne et le peuple palestinien. Et du lien terrible entre la Deuxième Guerre Mondiale et la Nakba palestinienne (“La catastrophe”).

 

Au commencement il y a la maison.

Présence scénique et idée abstraite enveloppant les personnages dans sa forme. Symbolisant ce passé qui les hante tous et continue de les pousser en avant.

Dans l’espace c’est une construction légère, comme une esquisse sur le carnet de l’architecte.

Centralisant les axes de la pièce.

Il attire les exilés à lui, marque le temps et porte sur son squelette la maison de Benyamin en Pologne, celle du groupe à Jaffa et celle de la famille palestinienne dans le camp de réfugiés au Liban.

Nous avons choisi de la faire exister dans l’espace de façon épurée afin de

permettre ces changements de lieux et de temps sans devoir renoncer à ce rôle de “reliant” entre les personnages et leur passé que nous l’imaginons tenir. La maison même devient alors un personnage, changeant de costume sans cesse pour créer une illusion plus forte que sa réalité matérielle.

Trois points de vue sont présents dans la pièce.

Le premier est celui de Benyamin, dit Beno. Refugié juif polonais, survivant des camps de concentration nazis. Il arrive sur sa terre promise, réalisant le mythe fondateur du sionisme “Une terre sans peuple pour un peuple sans terre”. Sa vision, qu’il veut neuve, ne peut contenir la tragédie de l’autre (le juif sépharade ou l’arabe palestinien). On le suit dans son travail de journaliste et dans ses articles admiratifs sur l’inauguration des 

kibboutz, mais il est aveugle au reste. La discrimination à l’encontre des sépharades ou le régime militaire contrôlant les palestiniens. Pour exister il doit anéantir son passé, celui des camps, celui de cette terre et de la maison qu’il reçoit à son arrivée. Le deuxième point de vue que l’on découvre est celui de la famille palestinienne réfugiée au Liban. Il s’oppose directement à la vision de Benyamin.

Cette famille refuse son présent et continue de vivre dans son passé, à Jaffa, dans leur maison. C’est le “Tzoumoud” (l’idée de s’accrocher à la terre natale). L’accroche physique ici est remplacée par l’accroche à la mémoire, aux souvenirs.Ils apparaissent sur scène seulement par le biais des lettres qu’ils envoient. Une présence-absence les rendant encore plus réels pour les membres du groupe.

Enfin le troisième point de vue est celui de Samuel. Avocat, vivant en France, qui arrive 60 ans après sur les mêmes pas que son grand-père, dans sa maison, mais cette fois pour la vendre.

Sa présence met à l’épreuve le rêve de son grand-père et le menace de l’oubli et de l’indifférence de la génération de Samuel.

Si Benyamin et Taha voulaient ce projet pour inciter les générations futures à changer leur regard et par là même leur compréhension du passé, Samuel lui représente le présent. Pragmatique, il est loin de la naïveté du personnage de son grand-père. L’arrivée de Samuel dans la maison va mettre en place un conflit triangulaire : entre différentes générations, entre l’Occident et l’Orient, entre le rêve utopique et socialiste de son grand-père et l’existence matérialiste de Samuel. 

 

Le théâtre et le cinéma

En mêlant théâtre et cinéma sur scène, c’est la perception du vrai et le pouvoir de l’image dans la création d’une mémoire collective que nous exposons.

Dans le cadre du projet sioniste, des cinéastes montaient de “faux films documentaires” avec des comédiens pour donner l’illusion d’une réalité à la narration imposée.

Ces films définissaient une pensée légitime et une norme collective dans laquelle le spectateur se devait de faire partie. Dans le spectacle Benyamin et ses camarades utilisent le même procédé de “faux films” pour dénoncer les actes répressifs du régime et proposer une alternative. Le film,que nous avons tourné dans les décors réels de Jaffa, projeté sur le mur du théâtre est autant d’échelles de vérité : la vérité du théâtre, celle du film et celle du Jaffa d’aujourd’hui.

Si loin de la ville utopique que le groupe imagine.

Nous ne cherchons pas à “animer” la scène ou à surajouter au décor par ces projections, mais à permettre de voir nos personnages comme des artistes, pour qui la création donne un sens à leur vie. Le tournage même de ce film, la recherche qu’il demande est partie intégrante du spectacle.

 

 

Ido Shaked 

Notes de mise en scène 

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